Dans un long texte publié le 25 juin, la Commission doctrinale de la Conférence des évêques de France (CEF) met en garde les fidèles qui fréquentent la « Contre-Réforme catholique » (CRC) à propos notamment de « la doctrine eucharistique de l’abbé Georges de Nantes qui comporte des erreurs et de véritables dangers pour la foi et la vie spirituelle ».
·C’est un sévère avertissement que la Commission doctrinale de la Conférence des évêques de France (CEF) a publié jeudi 25 juin à propos de la « Contre-Réforme catholique » (CRC), afin de mettre en garde les fidèles catholiques qui fréquentent ce mouvement ou certains de ses membres. Le fondateur de la CRC, l’abbé Georges de Nantes, décédé en 2010, avait fait l’objet de nombreuses sanctions canoniques. Malgré cela, selon la Commission doctrinale de la CEF, « plusieurs témoignages récents indiquent que certains membres de la CRC sont actifs dans des diocèses de France, dans des paroisses, des groupes de jeunes professionnels, divers mouvements et associations et même parfois dans des séminaires ». « La cellule des dérives sectaires a reçu quelques alertes et nous constatons que le dialogue reste très difficile entre le Conseil permanent et la CRC », explique à La Croix Mgr Laurent Camiade, évêque de Cahors et président de la Commission doctrinale, avant de préciser que, pendant le confinement, les six membres de cette commission épiscopale (1) ont pu finaliser ce document avec l’aide de cinq théologiens. « Plusieurs évêques attendaient d’avoir des éléments pour pouvoir éclairer des personnes proches de ce mouvement », poursuit Mgr Camiade qui ne cache pas que « la discussion est souvent impossible avec celles-ci car elles se pensent plus dans la vérité que ne l’est le reste de l’Église ». « Sans préjuger de l’intention individuelle » des membres de la CRC, ce document de la CEF veut donc avertir des erreurs véhiculées par ce mouvement. Notamment en ce qui concerne « la doctrine eucharistique de l’abbé Georges de Nantes qui comporte des erreurs et de véritables dangers pour la foi et la vie spirituelle ». Une théologie de l’eucharistie « dangereuse »Le fondateur de la CRC considérait, en effet, que la transformation du pain et du vin en Corps et Sang du Christ était « comme une prolongation de l’Incarnation ». Derrière cette théorie, met en garde la Commission doctrinale, « transparaît la christologie inacceptable de la CRC, selon laquelle l’âme du Christ préexisterait à une première incarnation par laquelle le Christ s’empare de son corps puis, dans l’eucharistie, s’emparerait du pain et du vin qui deviendraient son corps et son sang, de sorte, finalement, que nous qui les mangeons, nous assimilions ce corps et le Christ continuerait de s’incarner, cette fois, en nous ». « Tout ceci est contraire à l’enseignement de l’Église pour laquelle le Christ est vrai Dieu et vrai homme », insiste la Commission doctrinale qui rappelle que « selon la foi traditionnelle, c’est notre âme qui se laisse transformer par cette nourriture divine quand notre corps assimile physiquement les espèces eucharistiques. Cette transformation ne change pas notre nature mais nous fait participer spirituellement » à celle du Christ. Outre cette théorie spécieuse de l’emprise de l’âme du Christ sur le pain et le vin, l’abbé Georges de Nantes avait développé une conception très « physique », dite « sensualiste », de l’eucharistie qui l’a amené à « des comportements moraux inadmissibles de la part d’un prêtre », selon les termes de la Congrégation pour la doctrine de la foi en 1998. Selon cette conception sensualiste (qui a été plusieurs fois reprochée) de la participation des fidèles à l’eucharistie, « la manducation des espèces serait vécue sur le mode du contact physique avec le corps du Christ, contact physique qui serait la condition d’un authentique réalisme de l’union mystique au Christ », explique la Commission doctrinale. « La bouche du communiant embrasserait le Corps du Christ dans la communion, la sensation de contact avec l’hostie consacrée étant le lieu même de l’expérience d’union au Christ. » Georges de Nantes écrivait même que sa spiritualité eucharistique est une « mystique érotique » et que Jésus, dans l’eucharistie, se donne pour recevoir un baiser du communiant. « Il aurait dit aussi que le bruit de la fraction des hosties pendant l’Agnus Dei serait celui des côtes du Christ que casserait le prêtre ! Ces mots indignes contredisent les Écritures qui prennent soin d’indiquer que pas un de ses os ne fut brisé et confirment le dérèglement de cette piété. » Propos contraires à ce qu’enseigne l’ÉgliseLe document de la CEF met donc en garde contre le site Internet du mouvement (crc-resurrection), sur lequel un texte intitulé « Nouvelle théologie de l’Eucharistie » reprend deux articles de l’abbé de Nantes en 1977, faisant allusion à la réforme liturgique du concile Vatican II. Ces articles présentent « des confusions et des formules inacceptables », et son auteur prétend proposer « une nouvelle synthèse théologique, supérieure à ce qu’enseigne le Magistère de l’Église depuis huit siècles ». Les évêques de la Commission doctrinale critiquent également la doctrine de la CRC à propos de la Vierge Marie qu’ils qualifient de « désolante ». Selon l’abbé de Nantes, Marie serait dotée d’une âme éternelle ayant précédé et même participé à la création d’Adam et Ève, par son union mystique avec l’âme éternelle du Christ. « Ces théories sont absurdes et tout à fait contraires à l’anthropologie chrétienne qui voit dans la conception naturelle d’un enfant le début de l’existence de sa personne et jamais une préexistence d’une âme sans corps », souligne le document de la CEF. De telles théories qui « se rapprochent d’anthropologies païennes ou extrême-orientales » sont « incompatibles avec l’anthropologie biblique ». Enfin, la Commission doctrinale attaque fermement la théologie du mariage de l’abbé de Nantes, qui parlait d’un « mariage mystique » et qui présentait les vœux religieux comme une « certaine espèce du sacrement de mariage ». Pour lui, les vœux religieux devaient être considérés comme un sacramental – à défaut d’être un sacrement -, pour affirmer que la vie religieuse serait « une vocation d’amour nuptial dans des liens spirituels ». Mélange flou« Il faut avertir les fidèles contre le danger de ce mélange flou entre l’engagement religieux et une spiritualité sponsale, poursuit le document de la CEF. Ce style de discours a fait le malheur de bien des victimes féminines d’abus par de faux maîtres spirituels des XXe et XXIe siècles. » « Lorsqu’on étudie sa théorie sensualiste de l’eucharistie, on perçoit, dans le flou même de ces énoncés, qu’ils peuvent conduire à justifier n’importe quel abus au sein d’une communauté, poursuit la Commission doctrinale. D’autant plus qu’une communauté n’ayant pas de statut canonique n’est jamais visitée par l’autorité de l’Église, ce qui la prive de toute vérification et ajustement dans les relations. » La Commission doctrinale termine en rappelant que le fondateur de la CRC (communauté basée dans le diocèse de Troyes mais n’ayant aucun statut dans l’Église), qui avait été ordonné prêtre du diocèse de Grenoble en 1948, avait été suspendu de toute mission dans le diocèse de Troyes en 1963, puis suspendu a divinis (donc de toute mission sacerdotale partout dans le monde) en 1968. Ayant lui-même sollicité la Sacrée Congrégation pour la doctrine de la foi et souhaité l’examen de ses propres écrits, l’abbé de Nantes avait fait l’objet de notifications en 1969 et 1983. Ces notifications déploraient sa « révolte contre l’épiscopat de son pays » et contre le pape. Il fut frappé d’interdit en 1997 par Mgr Daucourt, alors évêque de Troyes, condamnation confirmée par la Congrégation pour la doctrine de la foi en 1998, et par le tribunal de la Signature apostolique en 2000. (1) Les six membres de la Commission doctrinale de la CEF sont Mgrs Jean Le Grez (Albi), Jean-Luc Bouilleret (Besançon), Laurent Camiade (Cahors, président), Benoît Bertrand (Mende), Pierre-Marie Carré (Montpellier) et Alexandre Joly (auxiliaire de Rennes). source : La Croix · Claire Lesegretain, · le 29/06/2020 |